Jean Wisimus – Notre bon berger (Nosse bon bierdji)

Voici venu l’automne, et l’occasion avec lui de se replonger dans des textes d’antan. Cette fois, c’est accompagnés de Jean Wisimus et de son ami Monsieur Dasse, guide-nature avant l’heure, que nous partons pour une petite promenade dont la simple évocation pourra je l’espère susciter chez vous l’envie de parcourir les sentiers de notre belle région, avec ou sans berger.

[…]

Nos parents sont sur les seuils. Ils nous attendent pour nous dire au revoir et pour souhaiter une bonne promenade à Monsieur Dasse, qui est le bon Dieu du voisinage pour les mères et leurs enfants.
De son pas paisible, toujours le même, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il gèle, que le soleil nous brûle la peau, le bon berger nous emmène à la campagne.

Durant six ans, je l’ai suivi, avec mes petits camarades. Durant six ans, il nous a conduits par les sentiers sauvages aux mûres où les petits rus se parlent entre eux entre le cresson et la reine-des-prés; il nous a mené par les grands chemins, d’où l’on voyait les fermes actives, des riches pommiers, ou bien des champs d’avoine roux, qui s’aplatissent comme de la toile, quand le bon petit vent de juillet se lève; il nous a fait connaître la Fagne, ses fougères et ses bruyères, là où les cailles gloussaient leur “boutch-bou-boutch” en plein soleil; il nous a fait entrer jusque dans le cœur de nos grands bois de sapins ;  nous y avons vu des cerfs, des chevreuils et des sangliers; il a ouvert bien grand, sous nos yeux étonnés, le beau grand livre d’images de nos Ardennes; il nous a raconté ce qu’il savait sur le genre de vie des animaux que l’on faisait fuir en passant, ou que l’Trochu chassait écureuil, lièvre, geai des chênes, hérisson, perdrix, renard, coq de bruyères, blaireau, hibou, belette, martre ou libellule. Il ne passait aucune fleur sans nous dire son nom et à quoi elle servait. Voici l’Euphraise, que l’on mélange avec le tabac pour renforcer les yeux, la Reine-des-prés et les baies de sureau, pour nous faire suer quand nous avons un rhume; la Verge d’or (ou Solidage, NDLR), pour la pierre aux reins; la Tanaisie, pour les vers; la Petite Centaurée, pour l’estomac; la Tormentille, pour la diarrhée et la Foirolle (ou Mercuriale) pour ceux qui sont constipés; l’Aigremoine que l’on gargarise quand on a mal aux dents; le Lierre, pour ceux qui toussent; la Potentille ansérine, pour les maux de ventre. Voici de la camomille, de la molène, des cynorrhodons, de la cuscute, de l’achillée, de l’égopode.

La Potentille ansérine | source Wikipedia

Monsieur Dasse avait des remèdes pour toutes les maladies, et, tous les jours, nous revenions chargés de bonnes plantes médicinales, que nos mères mettaient sécher dans des sachets dans le grenier. Nous n’en fîmes jamais corvée. De la Fagne, nous rapportions des framboises ou bien des baies de genévrier, et même, faute de mieux, des pommes de pin qui venaient bien à point pour allumer le feu au matin. A la fin septembre, notre berger nous emmenait dans les buissons de noisetiers et nous rentrions tous avec notre petit sac bien rempli de noisettes mûres que l’on rangeait pour les longues soirées d’hiver. Un autre jour, c’était le tour des mûres.
Et, tout en marchant ainsi, nous apprenions à reconnaître les mauvaises herbes qu’il ne fallait jamais toucher : la digitale, la ciguë, la belladone, le gouet, la colchique ou le crève-chien.
Vers les quatre heures, on s’asseyait au bord d’un ruisseau ou d’une source.On mangeait ses tartines avec de l’eau, de la bonne eau fraîche. Et puis, Monsieur Dasse bourrait sa pipe, prenait son amadou, sa pierre à feu et son briquet, et quand l’amadou n’était pas humide, il avait du feu du premier coup. Une fois que le soleil descendait, nous reprenions notre route pour rentrer.
Notre berger, qui savait toujours où on était, retrouvait bien vite un chemin.

[…]

Ce texte est issu de Dès Rôses èt dès Spènes (Des Roses et des Epines), de Jean Wisimus, paru en 1926 aux éditions Nicolet, Verviers, traduit et republié en 2024 par Catherine Malherbe (disponible dans toutes les librairies de la région).
Publié d’après une idée et avec l’aimable autorisation de Catherine Malherbe. Tous droits réservés pour la traduction.

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