Roger Herman, l’oeil de la forêt | le parcours

S’il est bien un habitué des bois et des Fagnes, c’est bien lui !
Fort de sa curiosité intarissable, de sa très longue expérience et de sa belle plume, il est l’un des pionniers régionaux dans le domaine des carnets naturalistes. On le retrouve souvent dans des écrits, tels que de courts papiers (souvent signés A. Laffut !),  ses livres mais aussi des publications scientifiques, puisqu’il est responsable du suivi des grands mammifères dans le massif de l’Hertogenwald. Mais là où il est le plus souvent, c’est dans les bois, armé de son éternel appareil photo, à sillonner les futaies, clairières, et autres milieux sauvages de nos régions. 

Rencontre avec Roger Herman, photographe, écrivain, collaborateur scientifique, et surtout naturaliste passionné.

Roger Herman et les Hautes-Fagnes, une histoire d’amour depuis plus de 70 ans !

Bonjour Roger, qui es-tu, et comment as-tu rencontré le Vivant ?

Je suis verviétois d’origine, puisque j’y suis né il y a 85 ans (NDLR : en 1939), c’est déjà un bail ! Très jeune, mon père m’a emmené en forêt à la fin de la guerre et au début d’après-guerre. On prenait le train à vapeur qui montait à Hockai, et puis on allait jusqu’à la Baraque Michel, la Vecquée, etc. D’emblée, ça m’a plu, donc je suis tombé dedans quand j’étais petit. Je n’avais que 15 ans quand j’ai perdu mon père, mais il m’avait inscrit… aux Amis de la Fagne, où j’ai rencontré le fondateur Antoine Freyens, qui m’a pris sous son aîle. 

Très vite, j’ai voulu voir les animaux sauvages. Ici, ce sont essentiellement les cervidés, qui me semblaient d’ailleurs plus nombreux à l’époque. Je me souviens que j’avais la première carte des Hautes Fagnes, et j’y indiquais avec un point rouge les endroits où j’avais vu une biche ou un chevreuil. C’est ainsi que tout a commencé. Je suis ensuite resté fidèle aux Amis de la Fagne, qui me comptait parmi ses/leurs membres depuis mes 15 ans, et j’ai continué de me passionner pour la faune sauvage et tout ce qui la concerne. 

J’ai toujours eu un attrait pour la vie sauvage, et ce qui correspond à une certaine nature vierge de civilisation et d’aménagements. Je suis aussi très attiré par la montagne, ce qui est souvent le cas des fagnards passionnés ! 

Et puis quand tu peux commencer à exercer ta passion quelque part, ça ne fait que s’amplifier.

Comment se sont passés tes premiers pas dans la forêt ?

Jeune, je partais de Verviers à vélo et je parcourais tous les chemins dans l’espoir de voir une biche, un chevreuil… Et puis inévitablement, je tombais sur le garde forestier du coin. 
C’est ainsi que, à 14 ans, j’ai eu la chance de rencontrer Gustave Javay, qui était forestier dans l’Hertogenwald (secteur de Portfays). Nous avons noué des liens de sympathie, à tel point qu’il est devenu un grand ami, m’a emmené dans toutes ses tournées et m’a appris énormément de choses. C’étaient mes débuts dans l’Hertogenwald (qui était à l’époque strictement réservé au roi), dans lequel je joue toujours un rôle à travers divers projets expérimentaux de gestion. 

Le mystérieux Hertogenwald

Et le boulot là-dedans ?

Ma situation familiale assez compliquée a fait que j’ai dû trouver du travail assez jeune, ce qui était bien plus facile à l’époque. Dès ma sortie d’humanités, j’ai trouvé une place au journal Le Courrier, où j’ai commencé à m’occuper des “chiens écrasés” (NDLR : rubrique de petits faits divers locaux). J’aimais bien écrire, et en plus j’y ai appris la technique photographique. La carrière professionnelle et la pratique de ma passion se sont alors rejointes. J’ai ensuite  gravi les échelons, jusqu’à devenir chef de poste de la rédaction internationale à l’agence de presse Belga. J’ai été passionné par le journalisme, qui est, je trouve, un très beau métier, mais c’était avant tout mon gagne-pain. J’avais toujours un pied et un oeil dans la nature, cela ne m’a jamais quitté. J’ai beaucoup travaillé à Bruxelles, mais chaque week-end et jour de congé, je revenais ici le plus vite possible. Je n’ai jamais décroché de la nature et de la Fagne. 
Enfin, j’ai eu la chance d’être pré-pensionné à 59 ans, et j’en ai bien profité pour me consacrer entièrement à ma passion !

Quand as-tu commencé la photo ?

Mon père m’avait offert un appareil photo rudimentaire, à ma communion solennelle, vers mes 12 ans. C’est quand j’ai rejoint les Amis de la Fagne que j’ai acheté quelque chose d’un peu plus sérieux. Et puis à mon arrivée au Courrier, j’ai reçu un Rollei, un appareil au format carré. Nous sommes ensuite passé au format 24×36, puis au numérique, etc.

A 24 ans, je me suis acheté un télé-objectif, indispensable à la photographie de la grande faune sauvage et des oiseaux. Ce n’était qu’un 200 mm : ce n’était pas le Pérou, mais je me souviens encore des toutes premières photos que j’ai faites avec ça. J’avais photographié une chevrette, j’étais tout heureux !

Un jeune chevreuil aux aguets

L’appareil photo est-il indispensable lors de tes balades ?

Quand je n’ai pas mon appareil photo, je suis tout nu !  Probablement car c’est le croisement de mes passions, le journalisme et la faune sauvage. J’ai toujours envie de ramener un témoignage et de le partager. Ce sont les rares fois où je ne l’avais pas, ou que j’avais un problème technique (oubli de mettre un film, batterie épuisée), qu’on aurait dit qu’il y avait justement quelque chose à photographier !

Que penser de l’évolution du matériel?

A l’époque de l’argentique, on voyait apparaître la photo dans le bain révélateur, c’était vraiment magique ! Et puis le charme artistique d’une photo noir et blanc argentique avait quelque chose d’unique, que tu ne saurais jamais avoir en numérique. Mais il faut admettre que les progrès sont remarquables, que la technologie et le numérique permettent beaucoup de choses impensables avant. Je me suis promené avec un fusil photographique pendant des années, et maintenant je suis avec une petite sacoche, contenant… un 24-600 mm ouverture 4.0 ! Les progrès sont extraordinaires !
Au début, je me méfiais très fort du passage au numérique. Tu n’as pas la photo en main ! Alors j’avais l’impression de photographier dans le vide, de perdre le document. Mais je m’y suis habitué. Et puis d’un point de vue du budget, le matériel argentique devient difficile à trouver et hors de prix. Cela reviendra peut-être… comme le vinyle.

As-tu changé ta façon de faire, avec le numérique ?

Maintenant, on fait dix fois plus de photos qu’avant ! Et puis on peut se servir de la rafale, et déclencher d’un coup 10 ou 15 photos. D’ailleurs c’est l’inconvénient du numérique, ça prend un temps fou de trier les photos. Je reviens d’un voyage et j’ai ramené 1500 photos !
Et puis dans le grand public, on photographie à tort et à travers, puisqu’on n’a plus la limitation de pellicule. 

Que penser de l’intervention de l’intelligence artificielle ?

Je ne suis pas contre la fabrication d’images par intelligence artificielle, mais alors il faut le spécifier, sinon c’est malhonnête. 

C’est en tant que témoin que tu as aussi voulu écrire des livres ?

Tout à fait. Désormais, il y a énormément de livres sur la nature, mais mon premier livre “La Forêt est leur domaine” (paru en 1969) était à l’époque, je pense, le premier livre sur la faune sauvage, sur les Hautes Fagnes et la Haute Ardenne. On m’en parle d’ailleurs toujours maintenant. 

Où peut-on trouver tes ouvrages?

Tous mes livres sont épuisés, sauf le tout dernier : “Vie Sauvage en Hautes-Fagnes”. La publication de livres n’est pas évidente, il faut trouver des éditeurs et nous ne sommes pas des Victor Hugo ! Ce sont souvent des petits tirages. 

“La forêt est leur domaine” (NDLR : titre d’un de ses ouvrages) : qu’en penses-tu maintenant ?

C’est la grande discussion ! L’Homme fait partie de la Nature, bien sûr. Il est une espèce animale comme une autre, mais ce n’est pas pour ça qu’il doit être partout et tout régenter, tout bousculer. 

Au coeur de l’hiver, de magnifiques cerfs semblent se balader comme des amis

Quels sont tes plus beaux souvenirs de photo sauvage ?

Il y en a tellement, c’est difficile de faire un choix. Mais je me souviens de ma toute première photo, la chevrette ! Je me souviens même de l’endroit exact. Et puis le premier cerf, aussi. C’est d’ailleurs toujours plus facile de photographier un chevreuil ou une biche. Je me souviens de mon premier 10 cors, d’autres cerfs et aussi des circonstances dans lesquelles je les ai photographiés. Ce sont des événements qu’on n’oublie pas ! Et puis dernièrement, le loup ! De toute évidence la plus belle surprise que la nature m’ait faite. 

L’observation en forêt peut-elle être dangereuse ? 

Une fois, un cerf est venu très rapidement vers moi, comme s’il me chargeait. Je crois qu’il n’en avait pas après moi, mais qu’il était en plein rut et donc prêt à chasser ses concurrents. Un ami, lui,  s’est fait sérieusement bousculer par un cerf, car il était sur son chemin dans un couloir étroit. Mais ce n’était pas non plus un acte agressif délibéré. Lors d’une partie de chasse, si l’animal est acculé, il pourrait se retourner sur un rabatteur ou un chien, mais jamais dans la vie sauvage. 

La photo sans doute la plus médiatisée, puisqu’elle est la première image nette d’Akela, le premier loup (en l’occurrence, une louve) attesté en Belgique depuis plus de 120 ans

As-tu déjà eu peur ?

Franchement, en toute sincérité, je ne me souviens pas avoir jamais eu peur dans la forêt. Jamais. J’ai déjà été bien plus inquiet dans des villes, le soir ou la nuit, dans des coins que je ne connaissais pas. Quand j’entre dans la forêt, je respire, je me sens chez moi. La seule chose dont j’ai eu peur en voyant le loup, c’était de rater les photos ! Si vous croisez un animal, observez-le avec intérêt, il se sauvera à un moment donné.

Quel est ton animal fétiche ?

Le cerf ! C’est un animal magnifique. Chassé, étudié, observé depuis des siècles puisqu’on le trouve d’ailleurs sur des gravures rupestres préhistoriques, et on découvre encore certains de ses secrets. On arrive toujours à s’émerveiller de son apparition. N’oublions pas le Tétras, qui est emblématique des Hautes-Fagnes. Sa réintroduction est compliquée, et on n’a toujours pas déterminé la véritable raison de son déclin… N’y aurait-il pas des éléments climatiques qui nous échappent ?

Le brame, phénomène impressionnant s’il en est

Les photos sont témoins de tes observations. Cherches-tu aussi un côté artistique ?

Surtout quand je fais du paysage, oui. Mais pour la faune, la démarche artistique arrive en second lieu. D’abord la “photo-document”, et puis ensuite on voit si on peut faire mieux.

Tes photos ont-elles une visée naturaliste, scientifique ?

L’Hertogenwald est devenu un terrain d’expérimentation scientifique.. Dans ce cadre, je suis reconnu comme photographe agréé, pour le suivi de la faune sauvage en général et plus spécialement les cervidés et le loup. On essaye autant que possible de reconnaître les individus pour mieux les étudier. Certains détails anatomiques sont précieux, comme par exemple une oreille coupée, qui restera ainsi durant toute la vie du cerf. On marque aussi certaines bêtes avec des colliers GPS. Pour le moment, on se concentre sur les biches, afin de comprendre leurs mécanismes de défense par rapport au loup. On n’ y chasse presque plus, si ce n’est en poussée silencieuse, mais aussi la chasse au pirsch accompagnée. C’est très réglementé.

Y a-t-il un animal que tu rêverais de voir revenir dans la région ?

Si on m’avait dit il y a 20 ou 30 ans d’ici que le loup allait revenir, je n’y aurais pas cru. Personne n’y aurait cru. Alors, que “manque-t-il”, maintenant ? Peut-être le lynx, mais c’est un problème plus complexe, il me semble : il est plus solitaire, il a besoin d’un immense territoire. 

fin de la première partie « Parcours »
la seconde partie « Les Hautes Fagnes » fera l’objet d’une prochaine publication

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