Paroles d’anciens | Revue Verviétoise d’Histoire naturelle | L’épervier

Le saviez-vous ? Il existait autre fois une revue locale consacrée à l’étude du monde vivant, éditée par les « Naturalistes Verviétois ». En voici un article écrit par un véritable local, René Preumont, et paru il y a un peu plus de 50 ans, le 15 mars 1972.
par René PREUMONT (Heusy)

Ce n’est pas sans émotion que j’aborde ici le chapitre le plus prestigieux du livre des oiseaux les rapaces. Tous, les rapaces nobles ou ignobles, les voiliers aux ailes rondes comme l’autour ou les rameurs aux pennes effilées, tels les faucons, ont exercé sur moi une emprise fascinante.
Je les aime parce qu’ils sont beaux, nobles et forts et que, s’ils tuent, ils le font proprement, sans détours et dans la seule mesure de leurs besoins.
Ils disparaissent, hélas, et c’est la honte de l’homme. De cet homme qui, s’il est capable de construire un avion supersonique, une fusée lunaire et un cerveau électronique, sera bien incapable de recréer un faucon pèlerin lorsque le dernier survivant aura quitté le ciel.
Dans mes longues randonnées solitaires, parfois nos voies se croisent moi, empêtré, enchaîné à la terre et lui, prestigieux voilier de l’azur
L’épervier d’Europe est un rapace diurne. C’est un diminutif de son grand cousin l’autour måle dont il arbore le plastron, les basques et le revers des ailes et des rectrices longitudinalement rayés de gris brun sur fond blanc. De l’autour des palombes, il a le régime composé en majeure partie d’oiseaux, l’extraordinaire puissance de vol, le courage indomptable. Le dos est brun ardoisé, zébré de sombre. Sombre aussi l’avers de la queue barrée de noir. Une tache blanche à la nuque. La base du bec crochu, les pattes et l’œil sont jaune citron. La longueur de la femelle – la forme – est de 40 cm et l’envergure de 60. Le måle est d’un tiers plus petit, d’où l’appellation de tiercelet. . Il est marqué de roux au jabot et sous les ailes. Quant au juvénile, il ressemble sensiblement au mâle. Une remarque : contrairement aux faucons, les ailes au repos n’atteignent pas l’extrémité des rectrices. Au printemps, l’épervier revêt son plumage nuptial. Ce lumineux éclat cesse avec la mort, les plumes, tissu vivant, se ternissant instantanément.

Où vit l’épervier? Partout dans notre pays et particulièrement dans les plaines vives en oiseaux, le long des orées des bois et près des rangées d’arbres qu’il coiffe de son vol rasant. Son territoire de chasse dépasse 500 Ha. Avec la crécerelle et la buse, l’épervier était le plus commun de nos rapaces.
Après l’avoir guetté, il tombe comme la foudre sur sa proie qu’il lie à la course, au vol ou au repos et l’empiète de l’avillon, la tuant instantanément par lacération du cervelet. Formidable petit rapace. Dans mes longues randonnées solitaires, parfois nos voies se croisent moi, empêtré, enchaîné à la terre et lui, prestigieux voilier de l’azur. Et une fraction de temps, je le suis de la mire de mon fusil, sans tirer, car je sais que ce passant impromptu ne peut être qu’un épervier, un coucou ou une tourterelle, oiseaux amis.
L’épervier, rapace de bas-vol, est, nous l’avons dit, particulièrement adroit. Il ne réussit pas à tout coup, toutefois. Un jour de l’été dernier, j’étais assis dans mon jardin quand, tout à coup, j’entendis un claquement sec. Je me levai en håte. Un épervier fuyait à tire d’ailes, tandis que les pigeons de mon voisin s’éparpillaient dans tous les azimuts. Le rapace avait plongé sur les colombidés alors qu’ils voltigeaient dans les parages et les avait manqués, de peu certainement. Une autre fois, à Spa, j’ai vu un épervier, tel un avion d’interception, reconduire jusqu’au colombier des pigeons voyageurs et buter au portillon d’entrée. J’avais noté à l’époque que les pigeons voyageurs étaient, par atavisme, des champions de l’esquive.

Quel est le régime de l’épervier? Il est composé principalement d’oiseaux chanteurs et de turdidės. En forêt ou le long des haies, vous trouverez des petits tas de plumes soigneusement époussetées : notre rapace est passé par là. L’épervier s’attaque, sans nul doute, à des proies plus volumineuses. Dans ce cas, il n’emportera pas sa victime après l’avoir liée mais la mettra en pièces sur le terrain. Le poids d’une perdrix l’épuisera puisque le transport de la proie est fonction de la puissance de vol, de la superficie alaire et de la force des serres du prédateur. En fait, les serres de l’épervier, courtes et recourbées, sont conçues pour la capture des petits oiseaux. Les tendeurs n’ignorent pas la prédilection de l’épervier pour leurs mues et appelants. Tous les vieux oiseleurs ont bouclé au moins une fois ce rapace dans leurs filets.
Pour clore ce chapitre alimentaire, j’estime que la nourriture de l’épervier se compose de 60% d’oiseaux, de 10% de rongeurs et de 20% d’insectes. Je reste toutefois convaincu qu’une bonne partie des oiseaux capturés sont blessés, malades ou handicapés et que la décimation s’exerce pour un bon tiers sur les espèces prolifiques, tels que les moineaux et les étourneaux, à l’utilité douteuse. Sélection naturelle et épuration salutaire.

Un mot du nid de l’épervier. Si l’épervier n’est pas l’oiseau de la solitude, il sera par contre beaucoup plus circonspect dans le choix de son aire. Son nid, un ancien nid de corvidé reconverti ou plus souvent un nid qu’il bâtira lui-même et éventuellement conservera plusieurs années, sera généralement construit sur un résineux. Un épicéa isolé dans une mer de feuillu ou de pins sylvestres au sein d’une région sauvage est le site idéal. Le nid est repérable au premier coup d’œil intéressé: des plumes blanches ont voleté un peu partout, des fientes maculent le sol ainsi que des débris d’oiseaux mêlés à des pelottes de déjection.
La forme (NDLR : femelle ?) dont la queue ne dépasse pas le contour du nid – contrairement aux couveuses geai ou corneille – couvera seule et sera ravitaillée sur un arbre voisin par son compagnon. Le nid est large et plat, fait de branches et de brindilles d’épicéa et nimbé de plumes claires provenant de l’épouillage. Dame épervier niche de début mai à fin juillet. Le nombre d’œufs est de 5 à 6, l’incubation estimée à 35 jours et le nourrissage à 1 mois. Une couvée. L’œuf est rond, l’écaille est rugueuse et ma-culée de brun noirâtre, particulièrement au gros bout. Les der-niers œufs déposés sont moins tachés.
Chaque fois qu’un rapace meurt, s’estompe un peu de la beauté de la Terre.
L’épervier est à la fois sédentaire et migrateur chez nous. Beaucoup d’éperviers émigrent et suivent leur garde-manger en l’occurence les mouvements migratoires des oiseaux. Il est plus rare en hiver manifestement. Il y a quelques années, en hiver, un Spadois m’a apporté un épervier qu’il avait abattu dans sa cour, en pleine ville, avec une 6 mm. L’oiseau n’avait que la peau sur les os. Le cri de l’épervier est une sorte de << mi-wé >>> perçant, difficile à reproduire.
L’emploi des pesticides et insecticides organo-chlorés, D. D. T. et autres, ont provoqué chez l’épervier des dégâts effrayants. Par un phénomène curieux, beaucoup de rapaces deviennent stériles ou cassent leurs œufs.
Je terminerai donc par mon sempiternel plaidoyer. Il est hors de doute que l’épervier est en voie de disparition. Je fais appel à mes amis chasseurs. Ils savent que l’épervier est protégé par l’A. R. du 10-10-1966. Ils savent aussi qu’aucune loi, sans une discipline librement consentie et raisonnée, n’empêchera pas l’extermination des derniers spécimens et l’inscription de l’épervier commun (?) au martyrologe des centaines d’espèces disparues. En effet beaucoup de gardes et de porteurs de permis, loin des regards indiscrets, continuent impunément à abattre les rapaces.
C’est profondément regrettable. Chaque fois qu’un rapace meurt, s’estompe un peu de la beauté de la Terre. Incomparable carrousel aérien de l’épervier: coups d’ailes fluides et effilés, planements longs, remontées en spirale au gré des courants thermiques et, au terme, reposée sur un chicot d’arbre, tandis que l’œil d’or acéré caresse avec possession son domaine, le vôtre, le mien, l’univers de l’herbe, des arbres et des moissons.
Heusy, mai 1971
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