Marbre rose et crinoïdes ou la Baelen tropicale

La pierre, encore de la pierre. On finit par en avoir l’habitude, dans notre région. Mais la connaît-on vraiment ? Il y a quelques mois, lors d’une balade organisée par le Cercle naturaliste de Belgique régional (Nature4you), nous sommes partis à la rencontre du témoin d’un passé très lointain : le marbre rose de Baelen. Avec Terre de Vesdre, il nous tardait de vous le faire découvrir !

Un petit joyaux local

Cela pourrait en étonner plus d’un, mais non avons dans la région l’une des plus belles roches de Wallonie, à savoir le marbre rose de Baelen (ou de Limbourg), parfois aussi appelé marbre rouge. Cette roche, unique en Europe occidentale, a servi à la construction et le parement de tout un tas de bâtiments, tels le Home Saint-François (Dolhain), la gare de Verviers-central ou encore les fonds baptismaux de l’Abbaye de Val Dieu. Un peu plus loin, ce sont la digue de Coq sur Mer (De Haan), le Collège Saint-Michel de Bruxelles ou encore le monument Victor Hugo à Waterloo. Dans la région, on l’appelle parfois “Pierre poitée” et elle se retrouve un peu partout : manteaux de cheminées, seuils, façades, encadrements de portes, pierres tombales…

Au pied de l’église Saint-Lambert de Goé, les paroissiens foulent un parvis fait de centaines de crinoïdes

Allez donc jeter un œil dans le vieux Limbourg, et vous tomberez vite sur cette petite merveille locale.
Son exploitation ne date pas d’hier, puisqu’on en retrouve trace dès le XVIème siècle. Il existe dès lors plusieurs anciennes carrières dans la région. Il y a même une légende selon laquelle se trouverait sous le Château de Limbourg une ancienne carrière souterraine, qui à ce jour n’est toujours pas précisément localisée.

Sur les hauteurs de Goé / Limbourg, une grotte de calcaire dit « marbre rose » | photo Annik Schoumaker

Du marbre, ici ?

Le nom le plus commun de cette roche est un effet le marbre rose, ou marbre de Baelen. Mais à proprement parler, d’un point de vue géologique, cela n’est pas du marbre (ce dernier nécessite des conditions particulières de température et de pression, qui n’ont pas été réunies dans nos régions). Toutefois, on lui a donné ce noble nom car, une fois poli, il revêt un aspect brillant et des veines blanches du plus bel effet, qui font bel et bien penser à du marbre. Pour s’en faire une idée sur le terrain, munissez-vous d’une petite brosse et d’un peu d’eau, et il vous sera possible d’entrapercevoir la beauté de cette roche. 
Au vu de sa couleur et de son aspect, ce n’est peut-être pas flagrant, mais il s’agit bel et bien de… calcaire.
Mais comment donc s’est formé cette roche si particulière ?

De l’histoire ancienne, très ancienne

Faisons un bon dans le passé pour tenter de comprendre ce qui fut un mystère pendant très longtemps.
Revenons à une époque très lointaine, appelée le Dévonien, dans un période (ou « étage géologique ») appelée le Famennien. C’était il y a environ… 370 millions d’années !

Au Dévonien, la surface de la Terre était méconnaissable | illustration Alex Bernardini

A cette époque, la planète a un autre visage que celui que nous connaissons aujourd’hui. Il y fait bien plus chaud (environ 25°C de moyenne), et le faciès de la surface de la terre est bien différent. D’ailleurs, la Belgique (ainsi que toute une partie de l’Europe) n’existe pas encore sous sa forme actuelle. Le fameux marbre rose est alors en train de se former sous une mer… tropicale, puisque situé sous les tropiques !

voici à quoi ressemblaient les fonds marins à l’époque de la formation des crinoïdes (les longues tiges en rouge) | illustration : R. Bizley

Peu d’organismes vivants “connus” peuplent la terre. Des insectes géants et des amphibiens, certes, mais pas encore d’arbres, d’oiseaux, ou même de mammifères. Autant dire que l’être humain n’est même pas à l’état d’ébauche…
Mais ce qui nous occupe ici se passe dans les océans, qui abritent entre autres des poissons “primitifs”, mais aussi d’étranges animaux, appelés crinoïdes.

Crino-quoi ?

Les crinoïdes, ce sont de bien étranges petits animaux (une dizaine de cm maximum dans la région) apparus il y a 500 millions d’années et appartenant aux “échinodermes”, cet embranchement dont les représentants les plus connus sont les étoiles de mer ou les oursins. Les “crinos” (faisons simple), quant à eux, ressemblent à s’y méprendre à des espèces de plantes, un peu comme des palmiers. Mais ce sont bien des animaux ! Ils filtrent l’eau de mer et se procurent ainsi leur plancton vital. Et comme très souvent chez les animaux, leur squelette est formé de… calcaire ! On commence à y voir plus clair. La boucle est bouclée ? Pas encore.

Les crinoïdes, ces êtres intrigants, animaux aux airs de végétaux | source : Wikipédia

Une fois que ces crinoïdes ont tiré leur révérence, leurs squelettes calcaires s’amassent au fond de l’eau, et finissent par se retrouver mêlée à d’autres particules de calcaire dans ce que l’on appelle un ciment calcareux. Ils sont ensuite recouverts par tout un tas de sédiments, puis écrasés à de très hautes pressions, jusqu’à former une roche solidaire et compacte. Par la suite, la dérive des continents et tout un tas de phénomènes géologiques se sont poursuivis, faisant remonter ce vestige marin tout en l’amenant jusqu’à nos latitudes, autour du 50ème degré nord, ce qui correspond aujourd’hui à l’emplacement précis de… Baelen !

Carte géologique de la région. En vert foncé, les veines de marbre rose de Baelen | source : GéoPortail de Wallonie

Selon le lieu, la couche de ce “marbre” peut atteindre une épaisseur de 25 à 150 m ! C’est un “monticule récifal”, constitué de boues calcaires rougeâtres, c’est-à-dire… le futur marbre rose. 
Depuis la dernière étape de ce voyage, de nombreuses formes de vie se sont développées sur cet ancien fond marin : animaux, jungles, steppes, forêts, etc. Les crinoïdes se sont alors retrouvés recouverts par d’autres roches plus récentes, mais aussi de la terre, de la végétation, des animaux, des bâtiments… 

D’où vient cette couleur ?

Tout le monde n’est pas d’accord, au sein de la communauté scientifique. En effet, il existe deux théories pour expliquer cette couleur que l’on dit “rubéfiée”.
La plus traditionnelle attribue cette couleur à une présence de fer oxydé, dans une eau bien oxygénée, donc à faible profondeur. Ce serait donc une espèce de rouille, en quelque sorte. 
L’autre théorie évoque plutôt l’action d’anciennes ferro-bactéries qui auraient suscité la cristallisation de fer, et ce sans corrélation avec la profondeur. 

Invisibles, alors ?

Ce qui est génial dans cette histoire, c’est qu’on peut toujours voir ces crinoïdes, ou du moins leur squelette ! On peut les trouver soit en coupe transversale (on verra alors le tube), soit longitudinale (le tube entier apparaît alors !).

Détail du parvis de l’église Saint-Lambert de Goé

Approchez donc d’un morceau de marbre rouge, et ouvrez l’œil !
Petit conseil : rendez-vous sur le parvis de l’église Saint-Lambert de Goé. 
Si vous voulez les voir à leur emplacement naturel, là où l’histoire géologique les a déposés, il existe plusieurs options : 

  • le long de la plaine de jeu Odon Pierard, à Limbourg
  • l’ancienne carrière au lieu-dit “Les Forges”
  • au pied de la Chapelle de Halloux au niveau du “S” (où l’on peut admirer de nombreux crinoïdes)

Un grand merci à Charlie Huygens pour son expertise et à Nicole Brasseur pour cette balade érudite !

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